Le blog de Benji
13déc/11Off

Tous les cris les SOS…

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Ce qui suit est malheureusement une histoire vraie. Une histoire que j'aimerais que personne ne vive... Mais surtout, c'est une histoire que je traîne malgré moi comme un boulet et que je dois coucher sur un clavier pour aller de l'avant.

Disclaimer: Toute ressemblance ou homonymie avec des personnes existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite. Quoique non, en fait. Même si j'ai eu la délicatesse de changer les noms des protagonistes.

AVERTISSEMENT: Le texte qui suit est long. Très long. Très, très long.

Il était une fois, dans une République pas si enchantée que ça, un jeune homme qui cherchait avec toute la bonne volonté du monde un trésor que bon nombre de jeunes de son âge possèdent déjà: un boulot. Oui, mais pas n'importe quel boulot. Un CDI, pour Contrat à Durée Indéterminée, appelé également Connerie Désopilante et Intemporelle lorsque l'on consulte le droit du travail. Mais passons. Ce jeune homme, appelons-le Bibi, a lutté maintes fois contre vents et marées, toujours à la recherche du précieux sésame, promis par tant de chefs qui lui faisaient miroiter cet Eldorado... mais qui finissait souvent en déconvenue: CDD, intérim, CPE puis CNE... Tels étaient ses crédos.

Jusqu'au jour où quelqu'un l'appelle pour un entretien d'embauche... pour un CDI. Un vrai de vrai. Sans conditions, rien. Bibi, très intrigué, n'y espérait plus, et a accepté sans même se rendre compte que le poste en question se trouvait à des centaines de kilomètres de son lieu de résidence. Réticent à l'idée de quitter éventuellement sa petite ville où la mer et le soleil ne faisaient qu'un (appelons cette ville Toulon), il se décida à franchir le cap, et se rendit finalement à l'entretien.

Le jeune homme se pointa alors dans un ville encore plus petite, qu'il ne connaissait pas plus que ça. Toutefois, à peine arrivé, il était frappé par certains bâtiments, qu'il avait l'impression de connaître sans jamais les avoir vraiment vus. Ayant l'habitude du déjà-vu, Bibi ignora cette impression et se rendit à son entretien. Il fut reçu par Georges, un homme qui n'avait pas plus de quarante ans, au sourire éclatant, tel un mannequin pour une pub Email Diamant. Georges lui posa de nombreuses questions, et termina l'entretien par une conversation en anglais. Le jeune homme dut se concentrer car Georges, bien qu'il était le directeur de ce service, parlait anglais aussi bien que sa prof de terminale (ce qui n'est pas du tout un compliment...). Ayant appris que Georges avait jugé son niveau d'anglais "moyen", il quitta cet endroit conscient qu'il avait tout foiré, mais heureux d'avoir fait de son mieux.

Sur le chemin du retour, il passa devant un restaurant italien, et il se souvint alors qu'il était venu une fois dans cette ville: lors d'un rêve, où il se promenait le long de l'avenue avec Goerges et une autre personne, à la recherche d'un restaurant. La pensée que ce rêve était peut-être prémonitoire le fit sourire.

Quelques jours plus tard, il apprit que le poste était sien, et qu'il était attendu sous huitaine.

Bibi fit donc ses valises et arriva dans cette nouvelle entreprise, jeune, dynamique, plein de gens qui apparemment étaient souriants. Georges lui présenta son service. Le jeune homme allait être entre autres supervisé par Bastien, un garçon de son âge qui était dans l'entreprise depuis quasiment ses débuts. Parmi les dix autres employés du service, il remarqua de suite l'un de ses collègues, John, un petit bonhomme avec un humour communicatif, qui le faisait beaucoup penser à lui-même quelques années auparavant. Dans le restant de la société, il fit dès le début connaissance avec Denise, une secrétaire qui chantait à tue-tête durant l'après-midi, ainsi que Nikita, qu'il soupçonnait (à raison) d'être enceinte, et qui avait un caractère bien trempé. Dès le déjeuner du premier jour, cette dernière lui dit d'ailleurs que chacun ici avait une face cachée, et qu'elle était impatiente de découvrir ce qu'il cacherait. Il ne sut pas trop comment prendre la réflexion, ainsi garda-t-il le silence en souriant.

Les semaines passèrent, et la période d'essai termina avec succès. Le jeune homme était donc officiellement détenteur d'un CDI, et il put louer un appartement quasiment sans problèmes. Tous les collègues étaient fort sympathiques, à l'exception d'un ou deux, un peu froids mais pas détestables. Il y avait peut-être ce chargé de compta, David, appelé l'Ours Polaire par la standardiste en raison de sa pilosité relativement importante, qui avait soi-disant gravi les échelons de la société beaucoup trop vite (comprendre: une promotion au bout de trois ans). Ce qui l'inquiéta davantage fut le fait que trois personnes quittèrent la société en moins de trois mois. Sur vingt-quatre personnes, cela faisait beaucoup, d'autant plus que deux des trois départs furent quasi-soudains.

Le troisième départ fut l'occasion d'un pot donné à l'extérieur. Bibi y alla, content de pouvoir faire davantage connaissance avec ses collègues. Les groupes étaient déjà tous faits, mais Denise et John aidèrent le jeune homme à se sentir à l'aise. Il tentait de suivre les conversations, mais décrochait de temps à autre. Son regard se portait alors au reste de la tablée. C'est ainsi qu'il croisa le regard d'un collègue arrivé très récemment, et qui allait remplacer celui pour qui le pot de départ était organisé. Un simple échange de sourire se produisit. Sur le coup, Bibi fut marqué car la timidité de ce nouveau venu lui faisait penser à son propre comportement actuel. Il décida d'oublier cette sensation, et la soirée se termina dans la joie et la bonne humeur.

Bibi avait l'impression d'appartenir à une famille. Il commença à faire des heures sup', d'abord le soir, puis le matin. Il parla de plus en plus à Bastien, qui fermait la porte principale chaque fois, ainsi qu'à John et Denise, les deux autres personnes qui restaient un peu plus longtemps le soir. Les relations, sans être vraiment amicales, étaient néanmoins au beau fixe. Un jour d'hiver, John reçut une promotion, et lorsqu'il dut transférer tous ses dossiers à quelqu'un d'autre, son choix se porta immédiatement sur Bibi, qui le vécut comme une marque de gratitude ainsi qu'une signe que son ardeur au travail était récompensée.

Le printemps arriva tellement vite que Bibi fut surpris de voir à quel point l'hiver était passé comme une étoile filante. Entre temps, cinq autres personnes avaient quitté la société. Georges avait embauché quatre nouvelles personnes au sein de son service: un petit jeune qui apprit très vite son boulot, un programmeur surqualifié qui s'embêtait comme un rat crevé, un gars bien sympa mais totalement à côté de ses pompes la plupart du temps, et un type à moitié cinglé qui était xénophobe et le revendiquait haut et fort. Bibi fut surpris par ces choix quelque peu discutables pour la plupart. Il se dit alors qu'il loupait sûrement une information capitale, et donc opta pour une idée originale: organiser un pot non pas pour un départ, mais pour une occasion plus joyeuse. Son anniversaire serait une occasion idéale.

Quasiment toute la boîte accepta l'idée, et Bibi eut la soirée d'anniversaire la plus sociable qu'il aie jamais eue. Il apprit deux choses très intéressantes lors de cette soirée. D'une part, Georges était un ancien sapeur-pompier, ce qui expliquait sa "beau gosse attitude", mais surtout, que sa nomination pour le poste de directeur de service avait laissé pantois plus d'un, car tous étaient certains à l'époque que Bastien allait avoir le poste. Il n'en fut rien, et personne ne savait réellement pourquoi... ou n'osait dire pourquoi. La seconde information importante était le prénom du fameux petit nouveau timide de la dernière fois: Chris. Ce dernier était venu, mais ne discutait pas réellement avec quelqu'un. Bibi, à force de virevolter entre les différentes discussions, s'en était rendu compte, et commença une conversation avec ce petit nouveau qui n'en était plus un. Les deux jeunes hommes quittèrent la soirée en se serrant la main, et Chris eut même une intention tout à fait honorable: il paya la part de Bibi au resto. Ce dernier en resta bouche bée.

Chris et Bibi commencèrent alors à se parler de plus en plus, par le biais de messagerie instantanée, ou en se dirigeant vers la sandwicherie la plus proche à l'heure du midi. Bibi le trouvait sympathique, mais très réservé. Il sentait qu'il cachait quelque chose d'assez important, un élément qui lui permettrait de mieux le cerner. Un soir, le jeune homme reçut un appel de Chris, qui l'attendait au bas de son immeuble. Il avait besoin de parler à quelqu'un car il ne se sentait pas bien.

Et là, tout le mystère s'éclaira en une simple phrase: "J'ai une tumeur au cerveau". Bibi comprit alors immédiatement... tout. Pourquoi Chris était si timide, réservé. Pourquoi il se sentait mal dès qu'il parlait de lui-même. Pourquoi il était ravi de parler à quelqu'un qui lui-même était relativement timide et réservé. En l'espace de quelques secondes, Bibi comprit pourquoi Chris l'intriguait tant depuis son arrivée: timide, santé fragile et humour de geek... C'était comme s'il se regardait dans un miroir.

Les quelques jours qui suivirent furent parfaits. Tout allait bien au boulot, et Bibi se rendait compte que Chris était en train de devenir un ami. Un vrai. Un de ceux à qui l'on peut confier ses joies, ses peines, ses doutes et ses espoirs. Une relation qu'il recherchait depuis des années, sans jamais mettre le doigt dessus. Et là, il se faisait enfin un ami, qui était partant pour des soirées ciné, des soirées console, et même des soirées bowling si l'occasion se présentait. Autre chose le frappa... Des années auparavant, alors que Bibi avait été renversé par une voiture à l'âge de 6 ans, il commença à tenir un cahier qui retraçait les aventures d'un garçon de son âge dont il rêvait la nuit: un certain Jean-Christophe, qui adorait les jeux vidéos, qui jouait de la guitare, et qui allait à l'hôpital de temps en temps parce qu'il avait un cancer du cerveau. A celà, on pouvait ajouter que le garçon avait une particularité physique qui se retrouve dans le nom de famille de Chris. Et là, Bibi eut un peu peur. Il se rendait compte qu'il faisait des rêves prémonitoires depuis plus longtemps qu'il ne le pensait.

Quelques semaines plus tard, Chris devint étrangement plus distant, refusant plusieurs fois les invitations de Bibi pour passer des soirées entre potes. Bibi revint rongé par le remords, persuadé qu'il avait fait quelque chose de travers. Il se faisait tellement du mauvais sang qu'un dimanche, il arriva presque en larmes chez Denise, qui habitait non loin de là, et qui avait invité John, son "meilleur ami". Bibi lâcha tout ce qu'il avait sur le coeur et expliqua tout. Absolument tout. John avait les larmes aux yeux. Quant à Denise, sa réflexion jeta un froid: "Toi, t'es amoureux". Bibi se rendit alors compte qu'il avait utilisé des mots qui pouvaient prêter à confusion sur ce qu'il ressentait, au fur et à mesure que Denise tentait de lui donner des exemples. Il les quitta soulagé, mais inquiet que Denise pense quelque chose de faux sur lui. Il ne pouvait être amoureux, il l'était déjà et savait parfaitement que ce qu'il ressentait pour Chris était une amitié comme il n'en avait jamais éprouvé auparavant, mais rien de plus...

Dès le lendemain de cette discussion, Chris ne lui adressa plus un seul mot, en dehors de quelques discussions obligatoires pour le travail. Les remords de Bibi s'accentuèrent, et il en devint littéralement malade. Il le fut encore plus quand une collègue lui annonça que Denise avait dit à tout le monde que Bibi faisait du harcèlement sexuel sur Chris... tout en essayant en parallèle de sortir avec lui! Pas étonnant que son pote ne lui parlait plus: être mis sur le devant de la scène de cette manière, franchement... Alors Bibi se replia sur lui-même. Il ne parlait quasiment plus à personne, et se concentrait uniquement sur son boulot.

Il avait perdu le sommeil, si bien qu'il dormait parfois un peu au boulot en attendant l'arrivée des autres. Un jour, il rêva qu'une de ses collègues le consolait suite au décès de Chris. Une horloge indiquait la date du 15 février, alors qu'il quittait un hôpital qui ressemblait à quelque chose de bizarre en forme de pyramide. Il fut si brusquement réveillé qu'il en eut la respiration coupée, et manqua de faire un malaise. Georges, en tant qu'ancien pompier, sut exactement quoi faire et retira Bibi de l'embarras d'une hospitalisation en urgence, qui auraient encore alimenté bon nombre de rumeurs...

L'été arriva. Bibi fut un peu surpris quand quelqu'un lui proposa de déjeuner avec lui. Il leva la tête: l'invitation était à l'initiative d'un John qui était beaucoup plus pâle et fatigué que dans ses souvenirs. Se déroula alors l'heure la plus instructive de toute l'année. Il apprit tout d'abord que John lui aussi se sentait de plus en plus mal. De son côté, la souffrance venait surtout du fait qu'il se sentait seul depuis un bon moment, et ce même s'il était entouré de collègues-amis comme Bastien et Denise. Il avoua que ces collègues en couple (dont Bastien) lui rappelait qu'il était célibataire, alors que Denise, soi-disant sa meilleure amie, était surtout là quand elle avait besoin de déballer tous les détails de sa vie sexuelle avec le mec de sa vie, avant de se bourrer la gueule suite à une rupture trois ou quatre jours plus tard, et ainsi de suite. Il n'avait pas de réel ami, et se sentait mal. Très mal. Tellement mal qu'il avait songé à se suicider.

Sur le coup, Bibi se sentit très mal. Devait-il prendre cet aveu comme un appel à l'aide? Le jeune homme lui expliqua que la vie valait la peine d'être vécue, qu'il y avait toujours des hauts après les bas, et qu'il fallait simplement se serrer les coudes en passant du temps avec d'autres personnes comme lui. John lui expliqua alors qu'il n'avait fait qu'y penser, car il croyait toujours à l'oasis après la traversée du désert. Bibi lui proposa de passer quelques soirées entre potes, du genre ciné, jeux vidéo et autres joyeusetés du genre, mais qu'il ne le forcerait pas car il n'était pas un harceleur.

Sur ce coup, ce fut John qui tilta, et qui lui avoua sans l'avouer que Denise était très sournoise quand elle voulait absolument quelque chose. Il avoua qu'elle avait eu un crush sur Chris quelques semaines auparavant, et que cette rumeur sortie de "nulle part" arrivait étrangement à point nommé... Il ajouta que tout le monde dans la boîte cachait son vrai visage, et qu'il faudrait un événement vraiment important pour que les masques tombent et que leur vrai visage apparaisse. Avant de retourner au travail, John lui expliqua que le meilleur moyen de se remonter le moral était de faire quelque chose de dingue, un rêve enfoui depuis des mois ou des années. C'est ainsi que Bibi décida le soir même de réserver une billet d'avion pour New York quelques mois plus tard.

Les jours passèrent, beaucoup plus longuement qu'auparavant. Bibi tenta de proposer à John deux ou trois sorties, qu'il refusa systématiquement. De peur de passer pour quelqu'un qui harcèle les gens, le jeune homme prit sur lui et arrêta de proposer des sorties. Toutefois, il se rendait compte que John devenait de plus en plus pâle, et surtout de plus en plus sérieux, beaucoup moins rieur qu'auparavant. Bibi se décida alors à parler de cette histoire de suicide à Denise, sa meilleure amie. Sa réaction fut quelque peu surprenante, puisqu'elle se contenta de rire: la demoiselle était totalement bourrée, comme une fois par semaine environ. Il tenta alors d'en parler à son boss, mais devant le regard dédaigneux de ce dernier, bifurqua au dernier moment sur une autre discussion. En effet, Georges était xénophobe, arabophobe, juifophobe et bien entendu homophobe. Donc forcément, les rumeurs de harcèlement sexuel ne lui plaisaient pas, mais alors pas du tout. Ou alors il n'en avait pas du tout eu vent et n'était simplement pas ravi d'entendre quelqu'un se plaindre de propos ouvertement xénophobes de la part d'un autre employé...

La fin du mois d'août arriva. Bibi passa un week-end chez ses parents, pour décompresser. Mais bizarrement, il n'était pas pressé de rentrer chez lui. Il éprouvait une sensation, une intuition selon laquelle il ne devait pas aller travailler. Il se surprit même à faire un détour de 150 kilomètres pour voir des amis et rentrer chez lui vraiment au dernier moment, une boule dans l'estomac. Il alla à son travail le lundi, et constata que tout se passait bien. John avait même repris des couleurs et plaisantait. Il fut donc soulagé... avant de se rendre compte que tout allait trop bien. Quelque chose clochait, mais il ne savait pas quoi.

Deux jours plus tard, il constata l'absence de John alors que la boule dans l'estomac revenait. De peur de passer pour un faible, il se concentra sur son travail. En fin d'après-midi, quand plusieurs personnes inconnues firent leur apparition à l'entrée, alors qu'il était au téléphone avec un client, Bibi était persudé que ces gens étaient porteurs de mauvaises nouvelles. Quand il dit Denise arriver en larmes dans le service, il eut envie de couper court à sa conversation téléphonique car il sentait qu'elle était porteuse d'une très mauvaise nouvelle.

Lorsqu'il apprit que John s'était jeté sous un train quelques heures plus tôt, il se rendit compte qu'il ne pouvait y avoir pire nouvelle au monde.

Le temps s'arrêta pendant plusieurs heures. Bibi entendait les mots de sa dernière réelle conversation avec John. Son envie de suicide... Il était passé finalement à l'action. Bibi avait été apparemment le seul à voir qu'il allait mal, et il n'avait rien pu faire pour l'en empêcher. Certains collègues se consolaient, se disaient que personne n'aurait pu empêcher cela. Sauf, peut-être, quelqu'un qui savait qu'il y avait déjà pensé. Au moins une fois...

La crémation eut lieu trois jours plus tard. Bibi y alla, la mort dans l'âme, car une cérémonie au crématorium était pour lui l'une des épreuves les plus épouvantables de la vie. Et il savait de quoi il parlait: il avait assisté à deux crémations l'année précédente et celle d'avant, pour l'enterrement de ses grands-parents. Toutefois, ici, en plus de l'épouvantable cérémonie à venir, s'ajouta un élément qu'il ne constata réellement qu'une fois devant le crématorium: ce bâtiment, c'était celui dans lequel il était quand on l'avait consolé de la mort de Chris, dans son rêve plus vrai que nature. Cette réalisation le fit éclater en sanglots. Il était devenu inconsolable, et contrairement à son rêve, ici personne n'était réellement là pour le consoler, chacun faisant plutôt de son mieux pour ne pas s'effondrer comme Bibi le faisait. D'autre part, le choix des musiques de la cérémonie lui faisaient rendre compte à quel point John avait presque les mêmes goûts musicaux que lui. Ce qui renforça son sentiment de malaise. C'était tout simplement dégueulasse que quelqu'un d'aussi bien était parti aussi tôt.

Tout le service se rassembla un peu plus tard autour d'une table. Bibi était venu parce que certains avaient insisté, mais il ne comprenait pas comment tout le monde pouvait avoir faim dans un moment pareil. Le jeune homme commanda une boisson histoire qu'on arrête de l'inciter à prendre quelque chose. Il ne pouvait s'empêcher de penser à John, à ce qui lui avait dit. Au bout d'un moment, il décida alors que le moment était choisi pour lui de rentrer et de dormir un peu. Chris profita de l'occasion pour lui aussi rentrer chez lui. Les deux garçons saluèrent les autres collègues. Arrivés l'un en face de l'autre, Bibi tendit la main, alors que Chris embrassa sur la joue un collègue en disant "Moi je bais la bise à mes amis", puis partit dans la direction opposée. Un ange passa. Bibi rentra chez lui en envoyant à Chris un SMS lui demandant de lui dire lundi pourquoi il se comportait comme ça avec lui.

Le lundi arriva. Bibi ne se sentait vraiment pas bien, et décida d'aller voir son médecin pour avoir un arrêt de travail de quelques jours, le temps de quitter cet endroit et de se changer un peu les idées. La salle d'attente étant comble, le jeune homme se rendit à son boulot, en de disant qu'il tenterait d'y retourner dès le lendemain. Cependant, quelques minutes à peine après avoir allumé son ordinateur, Bibi se sentait mal. Il prit un thé et s'isola. En revenant vers son bureau, il croisa Chris qui faisait une nouvelle fois la bise à tout le monde. Bibi lui tendit la main, et il reçut un "Non mais tu te moques de moi, là?" qu'il prit comme une provocation. Chris lui expliqua qu'il n'avait rien à lui dire et qu'il devait le laisser tranquille. Les mots "fils de pute" furent de trop, et Bibi poussa légèrement Chris. Ce dernier fit un pas en arrière, et eut une expression étrange dans le regard. Comme s'il attendait ça depuis longtemps.

Nikita, la collègue au caractère bien trempé, hurla alors avec une férocité qui surprit tout le monde. Bibi était soulagé de se rendre compte que quelqu'un d'autre avait vu la scène... Malheureusement, Nikita hurla sur Bibi, le traitant de tous les noms en lui disant que c'était lâche de s'attaquer à un collègue dans des circonstances pareilles. Chris en profita pour annoncer qu'il en avait assez que Bibi le harcèle de SMS, comme le pouvaient les 3 SMS envoyés hier. Le jeune homme se rendit compte alors de l'intérêt du langage SMS: éviter que son message ne soit tronqué en trois, et qu'il passe ainsi pour du harcèlement de bas étage...

Devant les insultes et l'humiliation, Bibi retourna vers son bureau, et s'étendit de tout son long après avoir trébuché sur une prise mal branchée. Son genou droit lui fit atrocement mal, et sur le coup il n'avait plus qu'une idée: quitter l'entreprise. Sur le coup de la colère, il déchira une page de son cahier de brouillon, et rédigea la lettre de démission la plus courte et la plus mal écrite de toute l'histoire de l'administration des entreprises. Il rentra alors chez lui, tout en se débattant contre une collègue qui ne voulait pas qu'il parte... tout en l'insultant.

Une heure plus tard, un de ses collègues arriva chez lui car Georges voulait tirer cette histoire au clair. Bibi rédigea sur son ordinateur une lettre de démission en bonne et dûe forme, avec un mois de préavis, comme légalement convenu, dans le cas où sa démission aurait déjà été acceptée. Arrivé dans le bureau de Georges, il fut surpris de voir que son courrier n'avait pas encore été pris en compte. Son boss voulait auparavant savoir ce qui s'était passé. Toutefois Bibi n'eut pas le temps de l'ouvrir, Georges lui annonçant que passer à tabac un collègue était inadmissible et que des telles personnes n'étaient pas les bienvenues dans la société. Estomaqué, Bibi tenta de se défendre pendant quelques secondes, puis tendit sa lettre de démission. Georges la parcourut du regard, et amena son brouillon au directeur financier, qui était copain comme cochon avec "Nikita la folle". La démission fut acceptée et signée en trente secondes chrono.

Aucun de ses collègues ne lui adressant la parole, perçu comme une brebis galeuse qui menaçait de pourrir tout le bétail, Bibi prit ses affaires et quitta cette société dans laquelle les 25 personnes qu'il considérait comme sa seconde famille étaient devenus, en l'espace de quelques minutes, des gens qui le détestaient et qui voulaient oublier jusqu'à son existence.

Les mois passèrent. Bibi finit par retrouver du travail, où il était devenu beaucoup plus distant vis-à-vis de ces collègues. Cette situation se retourna d'ailleurs contre lui lorsqu'un de ses nouveaux collègues se retrouve dans une soirée où participait un de ses anciens collègues, qui avoua que Bibi avait tabassé copieusement un collègue suite à un harcèlement sexuel qui avait mal tourné. Fort heureusement, il finit par trouver un boulot où le boss se contrefichait des rumeurs de cette société qu'il voyait comme une verrue dans le paysage des entreprises de la ville.

Ironiquement, Bibi fut condamné tous les matins à croiser la route de Chris, tous deux allant dans des directions opposés mais se croisant sur la même avenue. D'autre part, Bibi croisa la route d'une personne qui avait côtoyé Chris au boulot et qui le décrivait comme un schizophrène dangereux et à côté duquel Pinocchio passerait pour un symbole de vérité.

Y a-t-il une morale, dans cette histoire? Il y en aurait plusieurs. Tout d'abord, ne jamais, ô grand jamais, se fier rapidement à un ou plusieurs collègues. Dans un monde où le chacun pour soi règne en maître, la moindre preuve de sensibilité, de gentillesse, de faiblesse est mis à l'épreuve et devient une arme qui se retourne contre vous. D'autre part, si vous constatez que quelqu'un dans votre entourage semble dépérir de jour en jour, surtout réagissez avant qu'il ne soit trop tard. Que ce soit en parler avec lui, lui parler d'autre chose, l'inviter à manger un sandwich ou même en toucher deux mots à la hiérarchie si vous refusez de mettre les mains dans le cambouis. La vie est loin d'être facile, mais en finir avec la vie n'est pas une solution. Il existe toujours une issue pour chaque problème que l'on rencontre. Rien n'est insurmontable. Et si vous ne savez pas trouver les mots pour réconforter quelqu'un, ayez au moins le courage d'en parler à quelqu'un d'autre, de préférence une personne ayant des qualités relationnelles (d'où l'idée du patron... ou au pire de quelqu'un des RH), qui lui, pourra peut-être faire quelque chose, que ce soit en parler avec le principal intéressé ou l'aider à trouver une solution.

Je l'avoue, ce n'est pas un conte de Noël. Il n'y a pas de fin heureuse dans cette histoire, qui est vraie dans le moindre détail (en dehors de prénoms, bien sûr). John aurait-il eu une fin heureuse dans une autre société? Assurément, en témoigne les deux ambiances de travail que j'ai rencontrées après cette "expérience". Une équipe soudée, où dès que quelqu'un va mal, l'abcès est crevé. Tout le monde se serre les coudes, conscient que le métier n'est pas facile. Il existe encore des entreprises humaines. Il suffit juste de les trouver.

Pour la petite histoire, la veille de mon opération à l'hosto il y a quelques semaines, j'ai rêvé de John, qui me demandait de pardonner. Je ne sais pas trop de qui il parlait, j'ai donc envoyé un mail à trois anciens collègues, le matin même de mon opération. Un m'a été retourné comme adresse mail invalide, le second a été considéré comme non lu, le troisième ne m'a jamais répondu.

Quant au titre du post... Si vous avez tout lu jusqu'ici, peut-être allez vous lire ces paroles sous un oeil neuf. Comme cela a été le cas pour moi quelques jours après le décès de John...

Comme un fou va jeter à la mer
Des bouteilles vides et puis espère
Qu'on pourra lire à travers
S.O.S. écrit avec de l'air
Pour te dire que je me sens seul
Je dessine à l'encre vide
Un désert

Et je cours
Je me raccroche à la vie
Je me saoule avec le bruit
Des corps qui m'entourent
Comme des lianes nouées de tresses
Sans comprendre la détresse
Des mots que j'envoie

Difficile d'appeler au secours
Quand tant de drames nous oppressent
Et les larmes nouées de stress
Etouffent un peu plus les cris d'amour
De ceux qui sont dans la faiblesse
Et dans un dernier espoir
Disparaissent

Et je cours
Je me raccroche à la vie
Je me saoule avec le bruit
Des corps qui m'entourent
Comme des lianes nouées de tresses
Sans comprendre la détresse
Des mots que j'envoie

Tous les cris les S.O.S.
Partent dans les airs
Dans l'eau laissent une trace
Dont les écumes font la beauté
Pris dans leur vaisseau de verre
Les messages luttent
Mais les vagues les ramènent
En pierres d'étoile sur les rochers

Et j'ai ramassé les bouts de verre
J'ai recollé tous les morceaux
Tout était clair comme de l'eau
Contre le passé y a rien à faire
Il faudrait changer les héros
Dans un monde où le plus beau
Reste à faire

Et je cours
Je me raccroche à la vie
Je me saoule avec le bruit
Des corps qui m'entourent
Comme des lianes nouées de tresses
Sans comprendre la détresse
Des mots que j'envoie

Tous les cris les S.O.S.
Partent dans les airs
Dans l'eau laissent une trace
Dont les écumes font la beauté
Pris dans leur vaisseau de verre
Les messages luttent
Mais les vagues les ramènent
En pierres d'étoiles sur les rochers...

Maintenant que cette histoire a été écrite, je peux enfin passer à autre chose. Dès demain, je commence enfin à m'attaquer à la version finale de l'histoire que j'ai en tête depuis des années. Une histoire que je rêve d'écrire, mais qui a toujours eu un goût d'inachevé. John, sans le savoir, a apporté la pierre qui me manquait à cet édifice. Et cette histoire que je rêve d'écrire pour de bon, je vais enfin pouvoir la faire, en grande partie grâce à lui.

John, toi qui m'as dit un jour qu'il fallait s'accrocher à ses rêves jusqu'à temps qu'il se réalisent... J'espère que tu seras fier de moi, mon pote.

Remplis sous: Benji's life Commentaires
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