Cent quarante heures…

Entre juin et décembre, il y a eu une absence indéniable alors que j'étais partant pour tenir ce site de manière régulière. C'était sans compter des petites péripéties dignes d'un épisode de Melrose Place (oui, je sais, j'ai des références pourries, mais j'assume).
Pour faire un tableau très rapide de la situation, on m'a diagnostiqué une malformation cardiaque voici sept ans. Cela a permis d'expliquer l'origine de ma fatigue qui devenait de plus en plus importante, et surtout, d'expliquer pourquoi tous mes profs de sport me gueulaient dessus parce que j'étais exténué au bout de trente secondes d'exercice physique. Dès lors, j'ai été suivi par un cardiologue chaque année, qui m'annonçait qu'il faudrait que je me fasse opérer un de ces quatre, sans date précise.
Sauf que cette année, j'en avais marre d'être toujours aussi crevé. J'ai commencé un nouveau boulot en juin, et je commençais à faire rire mes collègues parce que je passais les deux heures de pause à manger pendant dix minutes... et à faire la "sieste" le reste du temps. D'autre part, lors de l'examen annuel, le cardiologue avait annoncé qu'il faudrait me faire opérer rapidement... mais que rien ne pressait. Cherchez l'erreur.
J'ai donc pris mon courage à deux mains, et j'ai envoyé un e-mail à mon cardiologue en pleine nuit pour lui supplier de changer d'avis. Dix heures plus tard, j'avais un coup de fil de sa part, et on me proposait un rendez-vous avec un chirurgien.
La décision a été à la fois facile et délicate à prendre. Certes, je voulais faire ça une bonne fois pour toutes, afin de me sentir mieux et d'éliminer ce boulet que je traînais depuis trop longtemps. D'un autre côté, une opération cardiaque, c'est risqué... et annoncer à son nouvel employeur qu'on va devoir être absent pendant minimum trois mois, c'est encore plus risqué. Sans mauvais jeu de mots, le coeur l'a emporté sur la raison. L'employeur a compris, mais n'a pas prolongé ma période d'essai. Je m'y attendais. Il m'a proposé de le recontacter dès que je serai remis pour me réembaucher. Je m'y attendais moins. Il a embauché deux nouvelles personnes le mois dernier pour me remplacer. Ça, par contre, je m'y attendais aussi...
Bref, je suis monté sur Lyon pour me faire opérer au mois de Septembre, après des semaines de réflexions personnelles et de nuits sans sommeil. Pourquoi Lyon, alors qu'il y a un hôpital là où je vis? Tout simplement parce que je surnomme objectivement cette ville "Crazy Town", et que je ne voulais surtout pas que cette ville apparaisse sur mon certificat de décès en cas de problèmes. Et puis, Lyon possède un des meilleurs hôpitaux cardiologiques de France, avec Lille et (ô surprise) Paris.
Comme je n'ai as fait d'études de médecine, j'ai trouvé un site très bien fait, créé par un p'tit gars qui a la même pathologie que moi, et qui a eu la même opération, dans le même hôpital, avec le même chirurgien. Si vous voulez en savoir plus, n'hésitez pas à cliquer sur "son" ours en peluche. Par contre je préviens, c'est plein de termes médicaux, de schémas compliqués, de photos assez gore et même une vidéo que je vous déconseille formellement de regarder si vous êtes sensible ou pire, si vous êtes en train de manger. Vous voilà prévenus!
Pour ma part, l'opération en elle-même s'est bien passée, à une différence près: le chirurgien s'est rendu compte que mon coeur était beaucoup plus fatigué que ce que les examens annonçaient. Et donc, en gros, j'ai eu raison d'insister car si on avait attendu quelques années, je ne serai peut-être pas là aujourd'hui pour en parler. Ambiance.
Cependant, il faut savoir que mon surnom c'est Poisse Man. Et donc, après l'opération, tout s'est bien passé... jusqu'au moment où mon corps a décidé de faire deux arrêts cardiaques et un oedème pulmonaire par-dessus le marché. En plusieurs dizaines d'années d'expérience, ils n'avaient jamais vu ça. Ah ben je vous l'avais dit, Poisse Man! Au lieu de passer 24 heures en réanimation, j'y ai passé... six jours.
Quasiment cent quarante heures, durant lesquelles j'étais allongé, avec plein de tubes, dans une pièce faiblement éclairée par une fenêtre et où se trouvaient d'autres personnes dans un état plus ou moins similaire au mien (dont un gamin de douze ans qui n'a cessé de hurler à la mort pendant tout son "séjour"). Des proches sont venus me voir afin que je me sente moins seul, mais ces six jours ont été les plus longs de ma vie. Lorsqu'on m'a annoncé que je sortais de ce service, j'ai craqué comme je ne l'ai jamais fait, et j'ai même ému aux larmes une aide-soignante (faut le faire...). La dernière image qu'il me reste de cette période, c'est le plafond du couloir lors de mon départ, où j'ai fini par rencontrer pour la première fois en six jours de la lumière naturelle. Cela reste le plus beau ciel bleu que j'aie jamais vu. Indescriptible.
Ensuite, je suis resté neuf jours en chambre d'hôpital, au lieu de quatre initialement prévus. Je me suis démené comme un beau diable pour sortir de cet endroit au plus vite, et si les deux premiers jours ont été délicats, à partir du troisième, les forces revenaient, je toussais moins... et mes premiers pas debout ont été une libération. Je ne parle même pas de mon premier shampoing post-opératoire: aussi jouissif qu'un concert de Goldman!
Actuellement je suis en convalescence en pleine campagne, chez mes parents, à quelques minutes en voiture d'un cabinet de kiné où je fais une rééducation cardiaque trois fois par semaine. Là encore, les progrès sont très bons, et surtout, chose inouïe, je fais de l'exercice physique sans ressentir réellement la fatigue. J'ai prévu de rentrer chez moi juste après le réveillon du Nouvel An, afin de commencer 2012 sur de bonnes bases.
Je retiens trois choses de cette expérience :
1. Il existe des Lyonnais humains! A moins que...
J'ai vécu cinq ans sur Lyon. Un très mauvais souvenir, de par le fait que le Lyonnais de base est une personne froide, distance, et sectaire. Il faut du temps pour être "adopté", et ce temps, je ne l'ai jamais trouvé. Avec ce séjour à l'hôpital, j'ai rencontré un personnel soignant absolument formidable, sans exception. Des aides-soignants souriants, aimables et prêts à discuter un peu s'ils ne sont pas trop occupés. J'ai notamment bien papoté avec un trio d'aides-soignantes absolument adorables, un gars de l'équipe de nuit qui était génial et qui m'a aidé à tuer le temps pendant mes nuits sans sommeil... sans oublier ma p'tite aide soignante en réanimation que j'ai fait pleurer sans le vouloir.
J'ai vraiment l'impression qu'on sous-estime ces professions. Ce sont les gens les plus humains que j'aie jamais rencontrés, et de par leur travail, ce sont de véritables héros, des modèles que bon nombre de jeunes désorientés devraient imiter quant à leur comportement et leur ouverture d'esprit envers les autres.
Malheureusement, toute gentillesse a une fin. Je suis sorti de ma chambre d'hôpital à 14h10, j'ai essuyé ma première insulte à 14h12, de la part d'un petit vieux qui trouvait inadmissible que je passe avant lui pour l'obtention d'un bon de sortie. Ah, les vieux...
2. J'ai plus d'amis que je ne le pensais.
Je savais que j'allais être coupé du monde pendant la durée de l'opération, j'ai donc chargé une personne de confiance pour donner quelques messages sur l'évolution de la situation depuis mon profil Facebook. Je pensais avoir un ou deux messages de soutien, comme bien souvent... J'en ai eu quinze. Par message. En tout c'est plus de la moitié de mes contacts qui m'ont manifesté leur soutien au moins une fois pendant cette opération.
Je ne le cache pas, j'ai été très ému en me rendant compte qu'autant de monde était là par la pensée. D'ailleurs je leur en suis toujours reconnaissant. Si j'ai réussi à sortir aussi vite de l'hôpital, c'est un peu aussi grâce à eux, faut pas le nier.
Merci Hélène pour ton soutien inestimable. Toi qui connais malheureusement les hôpitaux comme personne, c'est en pensant à toi que j'ai refait mes premiers pas, que j'ai mangé ma première mini-pizza, que j'ai recommencé à vivre.
Merci Pierrick pour avoir été là "rellement" pendant quelques jours, et au téléphone le reste du temps.
Merci à la famille pour m'avoir soutenu, et désolé de vous avoir fait peur... Euh non, pas désolé en fait, j'adore faire peur aux gens, moi!
Merci à Constance pour m'avoir fait rire via l'émission de Ruquier sur France 2... et accessoirement m'avoir fait très mal à chaque fois que je me pliais de rire.
Merci à Anne-Catherine, Darren, Anthony, Téma, Vanessa, Axelle, Sophie, Athalie, Corinne, Philippe, Aurélien, Delphine & Jean-Michel, Quentin, Thomas, Nelly, Jake, Maria, Séverine, Caroline, Kenny, Pierre-André, Raphaël, Alice, Stéphanie/Aika et son poulet (^^), et tous ceux que j'ai oubliés pour leurs petits mots d'encouragement.
Bref... Merci à tous.
3. Benji est allé aux frontières du réel...
Je termine par une anecdote que je n'arrive toujours pas à expliquer...
Quand je me suis réveillé de mon opération et que mes parents sont venus, les premiers mots que j'ai sortis sont "Monsieur Louche, prépa". C'était mon prof de philo quand j'étais en prépa, et il est de très loin le prof que j'ai le moins aimé de toute ma scolarité (ex-aequo avec la directrice de Sciences Po Toulouse, peut-être...). Bref, cela a amusé mes parents que je parle de lui, comme ça. Mais surtout, ce qui m'intriguait, c'est que je n'avais aucun souvenir de leur avoir parlé à ce moment-là.
Trois jours plus tard, je téléphone à la seule camarade de prépa avec qui je suis resté en contact. Je lui parle de cette histoire, elle rigole. Puis au bout de quelques minutes, alors que je continue à descendre royalement le prof, elle m'annonce que ce dernier est mort d'un cancer il y a trois ans...
Et là, je balise. Il paraît que quand on fait un arrêt cardiaque et qu'on est à deux doigts d'y passer, quelqu'un nous guide "de l'autre côté". Je n'ai jamais vraiment songé à cette histoire de vie après la mort, mais en y repensant... Et si "on" m'avait envoyé ce prof pour que je ne passe pas de l'autre côté, justement?
Après tout, je connais malheureusement de nombreux proches décédés: mes grands-parents, une de mes cousines que j'admirais énormément quand j'étais gamin, un ancien collègue qui s'est donné la mort l'an dernier, plusieurs voisins que je considérais comme une seconde famille, sans parler de celui que j'ai connu dans le ventre de ma mère mais qui n'a pas survécu à la grossesse... De toutes les personnes décédées que je connais, c'est lui qui se serait pointé? Et puis, si cette histoire d'autre côté c'était du vent, pourquoi diable aurais-je parlé de mon prof de prépa dès mon réveil, alors que cela fait dix ans que je n'ai plus entendu parler de lui?
Pour moi, cela fait partie de l'inexplicable. Je ne peux m'empêcher de penser qu'il m'a peut-être aidé justement à faire demi-tour, à choisir la vie plutôt que la mort (ironiquement, pendant un an il faisait l'apologie du suicide en cours... sérieusement). Comme si je devais revenir ici parce qu'il me reste encore des choses à prouver, des choses à faire... et peut-être d'autres gens à aider.
Je ne suis pas croyant. Du moins, pas vraiment. Je n'ai pas de religion à proprement parler, mais je ne peux m'empêcher de croire qu'il existe des phénomènes que l'on ne peut expliquer, que l'on appelle cela magie, ou spiritime, ou surnaturel. C'est toujours délicat de poser des mots sur ce ressenti, mais je presiste à penser que rien n'est aléatoire. Reste à savoir comment interpréter cela.
Enfin bref, je suis de retour, vivant, sonnant et pas trébuchant pour le moment. Et je suis prêt à enterrer 2011, et à voir ce que 2012 me réserve. Je sais pas pourquoi, mais je sens que l'année prochaine ne sera pas triste...
Aucun trackbacks pour l'instant
6 décembre 2011
Eh bien Benji! Sacré parcours du combattant! Je suis content que tu ailles mieux… Je ne savais pas que tu avais un blog, j’y passerai de temps en temps maintenant. Allez je file je vais me mettre en retard au boulot! Bye!